La riviera enchantée de Jean Cocteau

L’artiste a posé sa griffe sur un morceau très choisi de la côte d’Azur, qui lui rend hommage. Suivons les traces du poète.

Trois corniches, la grande, la basse et la moyenne donnent accès à Villefranche-sur-Mer, entre Nice et Monaco. Mais, d’où qu’on arrive, l’éblouissement est intact. La petite cité, fidèle à ses origines et colorée à l’italienne, avec du linge claquant entre des murs ocre, est splendide de haut en bas, de la citadelle aux trois musées jusqu’à la darse. Sur ce quai, on respire à fond, envahi de bien-être sous la caresse du soleil.

Les lieux, hier populaires et bon enfant, ont eu beau changer de standing, et les héritiers des dynasties hôtelières, avoir parfois leur avion privé, la Méditerranée reste d’un merveilleux bleu profond sous un ciel d’azur, cliché parfait, spectacle accessible à tout un chacun. Cocteau, longtemps habitué de ces lieux, dont le buste en bronze surmontant une citation trône sur le quai semble exaucé : « Quand je regarde Villefranche, je vois ma jeunesse. Fassent les hommes qu’elle ne change jamais.« 

Des anges et des gitans

Un de ces hommes, Jean-Paul Roux, pêcheur professionnel à l’accent chantant et la belle verve méridionale, continue de sortir avant l’aurore pour fournir Le Petit Banc, son étal sur les quais, et le restaurant de sa fille Krystel, à l’enseigne de La Fille du Pêcheur.

Patron de le la prud’homie des pêcheurs, il peut à tout moment vous ouvrir les portes du joyau de Villefranche : la très ancienne chapelle romane Saint-Pierre, couverte de fresques, dedans et dehors, par les soins de Cocteau. Elle servait à remiser les filets quand l’artiste, plus tout jeune, s’avisa de vouloir l’orner et la rendre au culte. Il y travailla bénévolement tout au long des années 1956 et 1957.

Blanche et beige comme une colombe, la chapelle respire la paix. On est touché par la fraîcheur de ses fresques, la pureté des lignes tracées au fusain, qui déroulent sur les murs et la voûte une ronde étrange ponctuée de poissons, de candélabres et d’yeux maçonniques : beaux pêcheurs, Niçoises en capeline, anges, saint Pierre aux outrages, guitariste et danseuse gitans, sous l’œil de la fillette Carole, enfant de Francine Weisswuller, l’artiste et hôtesse d’alors.

Jean Cocteau, jeune dandy émacié et hypersensible, avait fait sa première incursion sur la Côte d’Azur à 22 ans en1911. Une visite marquante : il est présenté par son ami Lucien Daudet, fils cadet d’Alphonse, à l’impératrice déchue Eugénie, dans les jardins de sa splendide villa Cyrnos au cap Martin. La petite vieille dame en robe-soutane noire cueille gracieusement une grappe florale de daphné blanc : « Je n’ai plus le pouvoir de décorer les poètes, mais je peux encore vous offrir ceci… »